Si nous apposons notre signature en bas de ce texte, c’est pour affirmer qu’il est désormais temps que la société française prenne à bras le corps, avec détermination et lucidité, le défi de la longévité.
Professionnels du secteur de l’aide aux personnes âgées, syndicalistes, acteurs économiques et sociaux, associatifs ou politiques, intellectuels ou experts, citoyens engagés, nous avons comme tout le monde constaté cette implacable statistique : 92 % des victimes du coronavirus en France sont âgées de 65 ans ou plus.
En braquant depuis deux mois la lumière sur le grand âge, la crise sanitaire a mis en évidence, et même accentué, nos failles collectives comme nos indéniables atouts.
Parce que nous sommes tous des vieux en devenir, il nous semble essentiel qu’aux côtés des transitions écologique et numérique, nous reconnaissions désormais la transition démographique comme un des grands défis du XXIème siècle.
Cette exigence est d’autant plus urgente que la société française va être confrontée à un double défi.
Le défi démographique, c’est, à partir de 2025-2030, cette triple massification du vieillissement – plus de retraités, plus de fragiles, plus de dépendants – due à l’arrivée à l’âge de 80-85 ans des « boomers » nés à partir de 1945.
Le défi sociologique, ce sont ces « nouveaux vieux » qui, au cœur de la crise de la covid, ont eu raison de rappeler que l’âge n’est pas une identité.
En exprimant leur colère quand la barrière d’âge fut un temps envisagée (et heureusement abandonnée) pour les contraindre au confinement au-delà du 11 mai, cette génération qui avait 18 ans en mai 68 a crié en 2020 à l’âge de 70 ans : « vous ne ferez plus contre nous ». Mieux : « vous ne ferez plus sans nous ».
Ce moment nous oblige donc à repenser le lien entre les générations. Durant cette crise, c’est le virus qui a été âgiste, pas les Français qui ont fait montre d’une immense solidarité en acceptant ce confinement drastique pour protéger les plus fragiles.
Dans une société où un quart de la population est à la retraite et où, en 2050, les plus de 85 ans constitueront 7% de la population française, nous pensons indispensable un pacte social qui lie les générations entre elles et où soit reconnue l’exigence de citoyenneté et de participation des âgés et de leurs proches.
Des retraités qui sont à la fois des garants de la solidarité, en assumant la garde des petits enfants autant que le soutien aux parents âgés, des précieux passeurs d’histoire, d’éducation et de mémoire et enfin des piliers de la citoyenneté – combien de mairies et d’associations ne tiennent aujourd’hui que par l’investissement des retraités ?
Mais nous prenons la plume aujourd’hui pour affirmer aussi que la crise du coronavirus doit nous fournir l’opportunité historique de changer de braquet dans l’accompagnement du grand âge.
L’âge déprime.
Le grand âge fait peur.
La dépendance terrorise.
Pour surmonter cette angoisse, nous devons d’abord respecter la volonté des français de vieillir chez soi.
Encore faut-il nous en donner les moyens en adaptant nos logements, en réformant les modes d’organisation et de financement des services d’aide à domicile, en développant massivement les formules d’habitats alternatifs et en reconnaissant le rôle des proches aidants, souvent âgés eux-mêmes.
Il faudra dans le même temps en finir avec ce choix collectif aberrant qui consiste à doter de moyens insuffisants les établissements spécialisés dans la prise en charge des âgés les plus fragiles les transformant de fait en bouc émissaire idéal de notre mauvaise conscience.
Au lieu de verser dans l’Ehpad bashing, mieux vaut collectivement repenser le rôle et les moyens d’établissements qui, s’ils ont besoin de connaître une profonde transformation à laquelle ils aspirent d’ailleurs eux-mêmes, demeurent nécessaires à tous.
Comme pour l’hôpital, il y a bel et bien urgence à penser réorganisation, gouvernance, moyens et reconnaissance des professionnels.
Nous avons applaudi chaque soir ces invisibles de la solidarité, ces professionnels du soin et de l’accompagnement des âgés, à domicile et en établissement – dont 85% sont des femmes.
Le “Ségur de la santé” devra intégrer un plan de mobilisation et de valorisation de ces métiers.
Nous leur devons plus qu’une loi technique qui enfermerait à nouveau les personnes âgées dans un carcan sanitaire et médico-social : nous devons engager le pays dans la société de la longévité et des solidarités intergénérationnelles.
Bien sûr, il faut aller jusqu’au bout de l’engagement présidentiel du 13 juin 2018 d’adopter une loi « grand âge et autonomie » mais elle doit s’accompagner d’une véritable stratégie nationale de transition démographique 2020-2030.
Elle devra être prospective – pour être raccord avec une transition démographique caractérisée par un vieillissement accru entre 2030 et 2050 – et mobiliser tous les leviers de la société.
Nous voulons que la France s’engage dans une politique massive et assumée d’adaptation des logements au vieillissement pour permettre à chacun de vivre le plus longtemps possible à domicile.
Nous voulons une « ville amie des aînés » qui permette à toute personne d’avoir accès à tous les commerces et services nécessaires, qui facilite les mobilités, qui mobilise les innovations et le numérique au service des plus âgés.
Nous voulons une loi et une stratégie nationale qui prennent en compte l’impact du vieillissement sur l’aménagement du territoire et sur l’emploi car demain, on ne vieillira pas de la même façon qu’on vive en centre-ville, en péri-urbain, en milieu rural ou dans les 220 centres-bourgs de l’opération « Cœur de Ville ».
Nous voulons une loi où la prévention tienne une place essentielle. Promotion des activités physiques adaptées, lutte contre la dénutrition, prévention des chutes qui tuent 9.000 âgés par an, mobilisation contre l’isolement social qui affecte 900.000 personnes âgées et prévention des troubles dépressifs, vaccination anti-grippale chaque année. Autant de chantiers essentiels pour une société bienveillante.
Il faudra enfin renverser la table des pratiques anciennes, du cloisonnement entre sanitaire et médico-social, entre établissement et domicile, entre pilotage national et gouvernance locale.
Elle devra être financée. Conscients des difficultés de l’après-crise du Covid et d’un contexte économique très dégradé, nous ne voulons pas pour autant que les choix budgétaires de sortie de crise occultent la nécessaire augmentation de la dépense publique et sa juste répartition pour la perte d‘autonomie.
L’annonce récente de la création d’un 5ème risque va à l’évidence dans le bon sens, à trois réserves près.
Que la réforme de l’âge ne se limite pas à la seule question du financement de la perte d’autonomie.
Que des moyens nouveaux soient effectifs dès 2021.
Que l’enveloppe dédiée à la dépendance, actuellement de 25 milliards d’euros, puisse progresser de 10 milliards d’euros dans les 10 ans à venir.
Un choix qui doit être affirmé dès aujourd’hui et inscrit dans la trajectoire de nos finances publiques.
Mais cette tribune ne constitue pas seulement un appel à la puissance publique qui, si elle peut beaucoup, ne peut pas tout.
Nous appelons à un sursaut de l’ensemble de la société. Car cette crise l’a aussi montré, les ressources, les projets et les innovations sont souvent au cœur de la société, dans les territoires, les associations, les entreprises.
Nous devons tous nous questionner et adapter nos pratiques à cette révolution de la longévité.
Nous adressons ce message à l’Etat autant qu’à nous-même.
Il est de notre responsabilité dans nos entreprises, dans nos institutions, dans nos associations, dans nos collectivités locales, dans nos partis et nos syndicats, dans nos écrits et nos productions intellectuelles de nous emparer de ces sujets et de faire nôtre cette mobilisation pour une transition démographique réussie.
Vieillir est une chance : ne transformons pas en problème une si formidable opportunité.
Le Manifeste a été publié dans le journal Le Monde du 27 mai 2020, à l’initiative de Luc Broussy et Jérôme Guedj.
Il été soutenu par les 150 premiers signataires.
Pour nous contacter : manifeste.longevite@gmail.com
Les signataires du Manifeste
Laure Adler, essayiste et productrice à France Inter
Cédric Annweiler, chef du service de gériatrie au CHU d’Angers
Jean-Pierre Aquino, gériatre et délégué général de la Société Française de Gériatrie et de Gérontologie
Bruno Arbouet, directeur général d’Action Logement
Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du SYNERPA
Philippe Bataille, sociologue
Eric Baugas, président d’Emera
Thierry Beaudet, président de la Mutualité Française
Christophe Béchu, maire d’Angers
Vanik Berberian, président de l’Association des maires ruraux de France
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT
Gilles Berrut, président-fondateur du Gérontopôle Pays de la Loire
Roland Berthillier, président de la MGEN
Sophie Boissard, directrice générale de Korian
Jean-Marc Borello, président du groupe SOS
Jérémie Boroy, président du Comité National Consultatif des Personnes Handicapées
Laurent Boughaba, président de Steva
Christophe Bouillon, président de l’Association des petites villes de France
Murielle Bouin, directrice d’AutonomLab
Dominique Bourgine, président d’ADEF Résidences
Nicolas Bouzou, économiste
Florence Braud, aide-soignante, chroniqueuse aux ASH
Jean-Claude Brdenk, directeur général d’Orpéa
Laure de la Bretèche, présidente d’Arpavie
Patrick Brothier, président d’Aesio Mutuelle
Luc Broussy, co-fondateur du Think Tank Matières Grises
Pascal Bruckner, essayiste
Dominique Bussereau, président de l’Association des Départements de France
Anne Caron-Déglise, magistrate
Francis Carrier, président de Grey pRide
Arnaud Caupenne, Association des Jeunes Gériatres
Richard Claverie, président du groupe Montana
Jean-Christophe Combe, directeur général de La Croix-Rouge
Benoit Coquart, PDG de Legrand
Eric Correia, président de la Communauté du Grand Guéret
Emma Cosse, présidente de Coallia Habitat
Thierry D’Aboville, secrétaire général de l’ADMR
Julien Damon, professeur associé à Sciences Po
Sophie Darel, marraine de Stop à l’isolement
Anne-Hélène Decosne, présidente de la Fédération Française des Infirmières Coordonnatrices
Michèle Delaunay, ancienne ministre déléguée aux personnes âgées
Carole Delga, président de la région Occitanie
Pascal Demurger, directeur général de la MAIF
Sylvain Denis, président d’honneur de la Fédération Nationale des Associations de Retraités
Marie-Sophie Desaulle, présidente de la FEHAP
Alain Dinin, président de Nexity
Patrick Doutreligne, président de l’UNIOPSS
Michel Drucker, producteur de télévision
Gérard-François Dumont, démographe, directeur de « Population & Avenir »
Jean-Louis Dumont, président de l’Union Sociale pour l’Habitat (USH)
Delphine Dupré-Lévêque, anthropologue
Gael Durel, président de M-Coor (fédérations de médecins coordonnateurs)
Maryse Duval, directrice générale de SOS Seniors
Myriam El Khomri, ancienne ministre, auteur d’un rapport sur les métiers du grand âge
Christian Estrosi, maire de Nice
Claude Evin, avocat, ancien ministre
Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean Jaurès
Eric Fontaine, CHU de Grenoble, président du Collectif de lutte contre la dénutrition
Françoise Forette, directrice d’ILC France
Jean-Marie Fournet, président de Domitys
Françoise Fromageau, présidente de Mona Lisa
Marie Thérèse Fuchs, présidente d’honneur de Old’Up
Louis Gallois, président de la Fédération des Acteurs de la Solidarité
Laurent Garcia, cadre de santé dans un Ehpad public
Florence Gilbert, directrice générale de Wimoov
Jean-Laurent Granier, PDG de Generali France
Antoine Grézaud, directeur général de la Fédération des Entreprises de Services à la Personne
Jérôme Guedj, co-fondateur du Think Tank Matières Grises
Olivier Guérin, CHU de Nice, président de la Société Française de Gériatrie et de Gérontologie
Pierre-Yves Guiavarch, directeur général ACPPA
Armelle de Guibert, déléguée générale des Petits Frères des Pauvres
Patrick Haddad, maire de Sarcelles
Edouard de Hennezel, président du Cercle Vulnérabilités & Société
Marie de Hennezel, psychothérapeute et écrivaine
Anne Hidalgo, maire de Paris
Emmanuel Hirsch, président de l’Espace Ethique d’Ile de France
Hélène Jacquemont, présidente de la Fondation Méderic-Alzheimer
Joël Jaouen, président de France Alzheimer
Alexandre Jardin, écrivain
Christine Jeandel, PDG de Colisée
Claude Jeandel, CHU de Montpellier, président du Collège professionnel des Gériatres
Stéphane Junique, président de Harmonie Mutuelle
Axel Kahn, président de la Ligue contre le Cancer
Matthieu Klein, président du Conseil Départemental de Meurthe-et-Moselle
Brigitte Klinkert, présidente du Conseil Départemental du Haut Rhin
Anna Kuhn-Lafont, secrétaire générale du Think Tank Matières Grises
Claudie Kulak, présidente du collectif « Je t’aide »
Séverine Laboue, directrice d’un EHPAD public
Thierry Lajoie, président de Grand Paris Aménagement
Stéphane Landreau, secrétaire général de la FNAAFP-CSF (aide à domicile)
Stéphane Le Bouler, directeur du think tank LISA
Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants
Karine Lefeuvre, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique
Pierre-Olivier Lefebvre, délégué général du réseau francophone des villes amies des aînés
Henri Lemoine, président de Générations Mouvement
Marie-Béatrice Levaux, présidente de la FEPEM
Dominique Libault, Président du Haut conseil du financement de la protection sociale
Éric Lombard, directeur général de la Caisse des Dépôts
Jean-Hervé Lorenzi, économiste, chaire “transition démographique, transition économique”
Elsa Maarek, directrice du Mensuel des Maisons de Retraite
Patrick Malphettes, président d’ADEDOM
Joëlle Martineaux, présidente de l’Union nationale des CCAS
Nathalie Maubourguet, présidente de la Ffamco
Pierre Mayeur, délégué général de l’OCIRP
Nicolas Menet, directeur de Silver Valley
Hervé Meunier, président de l’AFRATA
Dominique Monneron, directeur général Fondation Partage & Vie
Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie
Chloé Morin, analyste de l’opinion
Renaud Muselier, président de la région Sud, président de Régions de France
Antoine Parisi, directeur général d’Europ Assistance
Thierry Pech, directeur général de Terra Nova
Patrick Pelloux, médecin urgentiste
Mélissa Petit, sociologue
Eric Piolle, maire de Grenoble
Sébastien Podevyn, secrétaire général de la filière Silver Economie
Guillaume Quercy, président d’UNA
Sylvain Rabuel, PDG de Domus Vi
Stéphane Racz, directeur général de Nexem
Jean-Paul Raymond, président de l’association nationale des directeurs d’action sociale et de santé
Agathe Raynaud-Simon, cheffe du service de gériatrie à Bichat, présidente de la Fédération française de nutrition
François Rebsamen, maire de Dijon, président du Réseau Francophone Ville amie des Aînés
André Renaudin, directeur général AG2R-La Mondiale
Dominique Reynié, directeur général de Fondapol
Amir Reza-Tofoghi, président de la FEDESAP
Jean-Michel Ricard, co-fondateur de Siel Bleu
Olivier Richefou, président du Conseil Départemental de la Mayenne
Jean-Pierre Riso, président de la FNADEPA
Gérard Rivière, président (F.O.) du Conseil d’Administration de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV)
Didier Robiliard, président de France Parkinson
Jean-Marie Robine, démographe INSERM
Johanna Rolland, maire de Nantes
Maurice Ronat, président Seniors Autonomie
Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine
Delphine Roy, statisticienne, Institut des Politiques Publiques
Jérôme Saddier, président de la Chambre française de l’Economie Sociale et Solidaire
Didier Sapy, directeur de la FNAQPA
Philippe Serre, président de la FNAR
Emmanuel Sys, président de la Conférence des Ehpad publics
Philippe Tapié, président de Maisons de Famille
Fabien Tastet, président de l’association des administrateurs territoriaux
Pierre-Henri Tavoillot, philosophe
Stéphane Troussel, président du Conseil Département de Seine Saint Denis
Frédéric Valletoux, président de la FHF
Jean-Marie Vetel, gériatre, fondateur de la grille AGGIR
Hugues Vidor, président de l’UDES
André Viola, président du conseil départemental de l’Aude
Alexandre Viros, directeur général de e-Voyageurs SNCF
Annie de Vivie, fondatrice d’Agevillage
Philippe Wahl, PDG du groupe La Poste
Patrick Weil, historien, président de Bibliothèques sans frontières
Benjamin Zimmer, directeur délégué de Silver Alliance